Alaungpaya repousse une expédition punitive des envahisseurs contre son village, puis reprend Ava. Il n’est alors pas le seul chef de guerre à essayer de se faire un nom, suite à la capitulation de l’armée du roi de Birmanie mais, fort de ce succès, il réussit à s’imposer comme le leader incontesté de la révolte contre les Môns. Très vite ses partisans voient en lui le Minlaung, le roi messianique, capable de rendre sa grandeur et son unité au Royaume de Birmanie, qui est en train de péricliter. Cette aura religieuse explique la rapidité avec laquelle il peut rassembler l’ensemble des Birmans derrière lui, usurper le trône sans trop de résistance (il ne l’a jamais rendu à l’héritier du roi tué par la Môns après la défaite de Kyaukmyaung en 1753) et lancer la contre-offensive.
En aparté, les relations entre Bodawpaya et la Sangha montrent le rôle de contre-pouvoir qu’a toujours joué le clergé dans l’histoire birmane et la volonté permanente du gouvernement central de le contrôler et de l’instrumentaliser à des fins politiques. La "Révolution de Safran" de 2007 en est la preuve la plus récente.
Cependant, nous avons vu en l’occurrence que la prétention de Bodawpaya d’être le Metteya est fermement repoussée par le clergé et que celle-ci émane en fait de son égo surdimensionné. Il est donc logique que la légende de Bo Bo Aung s’adapte à l’histoire et fasse de Bodawpaya un roi vaniteux qui essaie d’assassiner son ami par jalousie et par peur de ses pouvoirs surnaturels. Comme je le raconte dans mon ouvrage, l’alchimiste triomphe évidemment, mais promet au roi de veiller sur sa descendance. Car, si Bodawpaya n’est pas le Metteya, la venue de ce dernier est toujours attendue, dès lors que le statut de Minlaung d’Alaungpaya n’est pas remis en cause. Il est donc naturel que le « futur Bouddha » soit issu de la dynastie des Konbaung.
Le successeur de Bodawpaya est Bagyidaw, son petit-fils (1819-1837). Suivant les conseils du Général Maha-Bandula, héros militaire birman, il continue la politique d’expansion de ses prédécesseurs et prend l’Assam et le Manipur, entrant en contact direct avec l’Empire Britannique. S’ensuit la première guerre anglo-birmane, remportée par les Anglais, qui se conclue par la signature du Traité de Yandabo en 1824 et la perte de l’Assam, du Manipur et de l’Arakan (ça s’en va et ça revient).
Pour en savoir plus sur cet épisode des relations anglo-birmanes, je conseille vivement la lecture du livre de Henry Gouger « A Personal Narrative of Two Years' Imprisonment in Burma », qui raconte avec beaucoup d’humour la vie de la cour à cette époque, mais aussi le système pénitencier birman, qu’il expérimente pendant deux ans suite à la première guerre anglo-birmane. Un récit d’aventure vivant, un classique en somme, qui vous divertira intelligemment. Suite à sa défaite qui le rend dépressif, Bagyidaw laisse son épouse, la reine Nanmadaw Me Nu, diriger le pays jusqu’au coup d’Etat mené par son frère Tharrawaddy Min, qui prend le pouvoir en 1837.
Ce putsch est intéressant, car il permet d’effectuer un retour sur la légende de Bo Bo Aung. En effet, au moment où il prend le pouvoir, Tharrawaddy Min fait exécuter la reine et le fils unique de Bagyidaw, le Prince Setkya. Il est de coutume à la cour birmane de se débarrasser des éventuels rivaux au trône lors de ces prises de pouvoir par la force. Le couronnement de la reine Supayalat, en 1878, en est le meilleur exemple. Quoiqu’il en soit, Bo Bo Aung a promis à Bodawpaya de veiller sur sa descendance directe, afin de protéger le « futur Bouddha ». Or, la mort du Prince Setkya pose évidemment problème. La légende prend donc le pas sur l’histoire pour nous expliquer que le Zawgyi a miraculeusement sauvé le prince et l’a emmené au royaume de Thagyamin, souverain des nats (esprits) en attendant que l’époque soit propice à son avènement comme Metteya. Cette croyance eschatologique fait évidemment penser à celle que l’on retrouve dans l’Islam chiite, avec le Madhi, 12ème Imam caché. On peut d’ailleurs noter que le 19ème siècle a été propice à l’apparition de ce type de croyances apocalyptique dans le monde entier : le Khaytisme, le Babisme, le Baha’i, les Mormons, l’Adventisme, etc. La conclusion de cette légende montre également que l’ésotérisme birman, en particulier l’alchimie, sert en quelque sorte de ciment entre l’animisme traditionnel, les croyances issues de l’Hindouisme et l’orthodoxie du Bouddhisme Theravada.
Le demi-frère de Pagan Min, Mindon, qui s’était opposé à cette guerre, monte finalement sur le trône en 1853, suite à l’abdication de celui-ci, offrant à la Birmanie sa dernière période de paix et de prospérité.
Bien que les archives officielles n’en fassent pas état, la rumeur veut qu’il ait sacrifié une cinquantaine de personnes en les enterrant vives sous les remparts, pour que leurs leikpyas (esprits papillons) protègent le palais. On s’aperçoit que la culture birmane conserve des aspects vivaces de l’animisme traditionnel. Car, si le Bouddhisme veut qu’il n’existe pas d’âme immortelle, la croyance populaire stipule que l’esprit d’une personne morte violemment continue de hanter les vivants. La tradition veut que les moines se relaient pendant sept jours dans le foyer d’un mort pour prier, afin de pousser l’esprit à quitter ce monde. On retrouve cela en Thaïlande, où le leikpya est appelé khwan. Je conseille la lecture de « Burmese supernaturalism » de Melford Spiro à ce sujet.
Mindon Min, comme la plupart des rois birmans, a de nombreuses épouses et donc beaucoup d’enfants. Par faiblesse ou à cause de la maladie qui le tuera en 1878, il n’a pas la force d’imposer un successeur. C’est là qu’intervient le couronnement de Thibaw Min et de Supayalat en 1879, qui sont les derniers monarques de Birmanie et donc de la dynastie Konbaung. Ceux qui ont lu mon livre en sauront déjà beaucoup sur les dernières années de la vie du Royaume de Birmanie, qui tombe en 1885, suite à la prise de Mandalay par les Anglais. Je conseille néanmoins la lecture de plusieurs ouvrages passionnants sur ces années troubles de l’histoire birmane.
Avec la chute de Mandalay disparaît évidemment la croyance populaire en l’avènement du Metteya au sein de la descendance d’Alaungpaya. Il faudra finalement attendre la venue d’Aung San, le père d’Aung San Suu Kyi, pour que le peuple pense de nouveau avoir trouvé le Minlaung, le roi messianique chargé d’amener un nouvel âge d’or. Aung San n'a d'ailleurs cessé de se chercher des origines royales et légendaires, afin de justifier son statut et de s'entourer de la même aura religieuse qu'un Alaungpaya, par exemple. Mais cela fera l’objet d’un autre article.
Jak Bazino
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire