Je parle dans
mon livre de la convoitise qu’ont éveillée chez les Européens, les rubis qui sortaient des mines des rois birmans, et qui a sans doute contribué à précipiter le destin du royaume. Après tout, la
Birmanie extrait encore aujourd’hui 90% des rubis vendus dans le monde, dont les fameux « sang de pigeon », de la couleur la plus pure et la plus rare, proche de celle de la framboise, que s’arrachent les plus grands joaillers.
Joseph KESSEL a d’ailleurs consacré son roman «
La vallée des rubis » au site de
Mogok, d’où proviennent la plupart de ces pierres dont la valeur dépasse celle du diamant. De ces « padamyar » (rubis en birman), le plus célèbre reste sans aucun doute le rubis royal Padamyar Ngamauk, auquel je fais référence dans les premiers chapitres de
mon roman.
Tout commence en 1023 de l’ère birmane (1661 après Jésus-Christ) lorsqu’un homme du nom de Ngamauk Kyi, qui vivait dans le village de Chinwin, trouva un rubis « sang de pigeon » de 82 carats. Il offrit la pierre au roi
Pye Min (1661-1672), de la
dynastie Toungoo, lors de son couronnement à
Ava (région de
Mandalay), capitale du Royaume de
Birmanie à l’époque. Ce dernier nomma le rubis Ngamauk en hommage à celui qui le lui avait offert.
Le joyau passa d’un roi à l’autre, jusqu’à
Thibaw Min, dernier monarque de la
dynastie Konbaung, qui le fit monter en boucle d’oreille pour en parer son éléphant blanc royal. C’est sous son règne que la pierre commença à gagner en renommée au-delà des limites du royaume.
Tous se souviennent, en effet, de l’échange entre
Thibaw Min et l’homme d’affaires et écrivain Edwin Streeter, venu négocier des droits d’exploitation dans les mines de
Mogok. Au Britannique médusé, le roi avait montré le Padamyar Ngamauk en lui demandant d'évaluer sa valeur. « Ce joyau n’a pas de prix ! », s’était exclamé le joailler londonien. Ce à quoi
Thibaw avait répondu : « si une seule pierre n’a pas de prix, comment évaluer celui de toute une mine ? ». L’entrepreneur était reparti dépité. Le roi, quant à lui, paya son arrogance lorsque les Britanniques envahirent le
Royaume de Birmanie et par l’annexèrent à l’Empire des Indes.
Lors de la
chute de Mandalay, en novembre 1885, le Padamyar Ngamauk fut placé avec d’autres joyaux de la couronne birmane dans un coffret en or, que la
Reine Supayalat emmena avec elle sur le steamer Thuriya, bateau qui devait emmener la famille royale à
Yangon, puis en exil à
Madras (Inde).
La nuit du 29 novembre 1885, un officier britannique, le Colonel Sladen monta à bord du Thuriya. Bien qu’appartenant à l’armée britannique, le Colonel Salden était un proche de la famille royale, puisqu’il était en poste à
Mandalay depuis le règne du
Roi Mindon, décédé en 1878. Il avait également servi d’intermédiaire entre le Général Pendergast et le roi
Thibaw lors de la reddition de ce dernier. Profitant de la confiance que les monarques birmans plaçaient en lui, il leur offrit de garder précieusement le coffret pour plus de sécurité et promit de le leur rendre le lendemain, au moment de leur départ.
Thibaw Min et
Supayalat ne le revirent plus jamais.
En plus du Padamyar Ngamauk, le Colonel Sladen emporta d’autres rubis tels que le Hlawga Tin Galay (20 carats), le Hlawga Tin Gyi (40 carats) et le Sinmataw (10 carats). Depuis son exil en Inde, à
Madras puis à Ratnagiri, le roi
Thibaw écrivit de nombreuses lettres pour réclamer le retour du rubis royal. Sans succès. Jusqu’à sa mort, le Colonel Sladen prétendit n’avoir jamais eu le coffret royal en sa possession. Plusieurs documents et témoignages établissent pourtant que les descendants du Colonel Salden auraient fait don du rubis à la
Reine Victoria. En 1911, lorsque le
Roi George V se rendit en Inde, le
Roi Thibaw lui écrivit pour lui demander de lui retourner les bijoux de la couronne de Birmanie. Il lui fut simplement répondu que le Colonel Sladen était décédé en 1890.
Or, lors d’un voyage en Europe, la Princesse Kyundaung, qui était l’une des descendantes des monarques birmans, aurait formellement reconnu le Padamyar Ngamauk parmi les
joyaux de la couronne britannique, dont il constitue aujourd’hui le plus gros rubis.
De nos jours encore, les rubis de
Birmanie attisent toutes les convoitises et la vallée de
Mogok n’a pas tellement changé depuis la description qu’en a faite
Joseph Kessel. On continue d’y faire travailler des enfants et des journaliers dans des conditions de quasi esclavage. Ceux qui ne sont pas payés en dose de morphine ou d’héroïne, « rubis sur ongle », le sont à un tarif dérisoire qui permet à peine de survivre dans cet enfer à ciel ouvert, où tous se démènent comme des damnés pour essayer de trouver la pierre qui pourrait un jour changer leur vie.
Mais seuls les propriétaires de mines s’enrichissent. Les autres finissent ruinés, éreintés, handicapés, toxicomanes ou séropositifs. Malgré cela, la fièvre continue dans ce « far-west » du 21ème siècle, où rien n’est plus précieux que ces cailloux qui font et défont les royaumes, pas même le sang de ceux qui se sacrifient pour lui donner sa couleur. Peut-être trouve-t-on là l’origine des fameux rubis « sang de pigeon » : il y a ceux qui se saignent aux quatre veines pour le trouver, et ceux qui le font pour l’acheter.
Quoiqu’il en soit, l’histoire de la
Birmanie est irrémédiablement liée à celle de ses pierres. Il était normal que celle de mon roman le soit aussi. Il y a les rubis de Mogok qu’a longtemps cherché Naw Seng, le gérant de la guesthouse, avant de se faire assassiner. Puis il y a celle que cherche Eric suite à ce meurtre, la pierre philosophale. Si les uns, symboles d’avidité, n’apportent que la mort, parfois même celle d’un royaume tout entier, l’autre, symbole de sagesse et de connaissance, donne la vie. Ceux qui ont lu
mon roman comprendront. Aux autres, je souhaite une
bonne lecture.
Jak BAZINO
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