mercredi 31 octobre 2012

CRITIQUE - LES CHRONIQUES DE MALORIE

Merci à Malorie, bloggueuse littéraire, pour sa critique de mon roman. Voici ce qu'elle écrit sur son blog (http://leschroniquesdemalorie.blogspot.fr/) :


"En ce moment, j'enchaîne les lectures formidables et inoubliables ! Ce roman de Jak Bazino n'échappe pas à la règle ; avec ce roman aussi passionnant qu'enrichissant j'ai passé de très belles heures de littérature et de voyage. 

L'auteur, grâce à ce roman d'aventure, nous entraîne en Birmanie et nous livre un portrait vif et collant à la réalité de ce pays. Il a parcouru cet état pendant plusieurs année (il y a vécu quatre ans) et a décidé de nous offrir un magnifique livre afin que nous puissions découvrir un pays ensorcelant. 

L'histoire se passe en 2007 en pleine Révolution de Safran. Éric Tamino, que l'on va suivre tout au long du roman se trouve, suite à un meurtre, lancé dans une aventure qui l'emportera sur les chemins de Birmanie, sur les traces de Maung Aung (qui est garde au palais royal en 1885), le dernier Aris, une secte ésotérique dont les membres furent persécutés. Nous vivrons à ces côtés une aventure hors du commun et inoubliable qui, nous offrira bien plus qu'un instant d'aventure...


Jak Bazino a décidé de nous faire découvrir la magnifique Birmanie (et son histoire) en écrivant une fiction plutôt qu'un ouvrage essayiste. Je pense qu'il souhaitait offrir aux lecteurs une connaissance tout en distrayant ces derniers ; pour les marquer encore plus. Et je peux vous assurez que c'est une réussite. 

On apprend beaucoup à travers cette lecture. Je ne connaissais que très peu la Birmanie (à vrai dire, de ce pays je n'avais que les images passées en boucle en 2007 lors de la Révolution de Safran). Mais avec ce roman d'aventure, j'ai découvert un pays d'une grande richesse à l'histoire parfois difficile (mais quel pays n'a pas connu, dans son histoire, de moments difficiles ou affreux)  qui offre énormément à qui se penche sur cette nation. 

C'est avec une magnifique plume et un style très prenant que l'auteur a voulu nous faire découvrir un pays, parfois trop laissé de côté, alors qu'il mérite amplement d'être connu et reconnu. L'écriture est soignée, le style très riche. Le rythme est soutenu ce qui permet au lecteur de ne pas avoir une seconde de répit et de vouloir toujours en savoir plus. 

L'auteur a, pour moi, réussi son pari : faire découvrir un pays avec un roman d'aventure de grande qualité, inoubliable et qui donne envie d'en savoir plus sur ce magnifique pays, son histoire, ses traditions, ses croyances. 

Je suis certaine, ami(e)s lecteurs/lectrices que vous aussi, une foi le livre en main, vous vous laisserez entraîner en Birmanie aux côtés d’Éric et, que vous ressortirez de cette lecture sous le charme.


Une fois de plus, je remercie du fond du cœur Janyce des éditions Mon petit éditeur qui m'a offert une lecture que je ne suis pas prête d'oublier. Un grand merci aussi à l'auteur, Jak Bazino. 
Si vous aussi vous souhaitez découvrir ce texte (et plein d'autres de grande qualité) je vous invite à découvrir le catalogue des Éditions Mon petit Éditeur."


vendredi 26 octobre 2012

LE YADAYA, L'OCCULTE ET LA POLITIQUE BIRMANE




Comme vous le savez, la trame de mon roman tourne autour de la quête de la Pierre Philosophale en Birmanie. Parmi les protagonistes se trouvent notamment un Général et un Colonel birmans, qui comptent tous deux utiliser les pouvoirs du Datlone (la pierre) pour accéder au pouvoir. Ce point peut paraître farfelu et peu crédible à certains lecteurs, il n’en demeure pas moins très proche de la réalité, tant il semble impossible de détacher les croyances ésotériques de la politique en Birmanie.

Dans un précédent article, j’abordais déjà cette question en parlant du mythe du Minlaung (roi messianique) et de son importance dans l’aura qui a entouré des leaders historiques tels que Bodawpaya, Alaungpaya, Saya San et, bien entendu et plus récemment, Aung San. Même l’awza (charisme) dont bénéficie sa fille, Aung San Suu Kyi, peut en grande partie être rattachée à ce système de croyances ésotérico-religieuses. Il suffit de se rappeler notamment ce que David Steinberg explique dans « Burma, the state of Myanmar » ou encore Gustaaf Houtman dans « Mental culture in Burmese crisis politics », à savoir que l’espace social et politique en Birmanie est divisé selon deux concepts opposés : l’ana (autorité) et l’awza (influence). Or, on retrouve naturellement ces concepts dans les préceptes du Bouddhisme Theravada qui, pour simplifier, fait de l’awza la qualité attribuée au bon monarque quand l’ana demeure la tare du tyran. Les deux sphères du religieux et du politique sont donc intrinsèquement liées en Birmanie.

A ce titre, les récents affrontements entre communautés bouddhistes et musulmanes dans l’Etat Arakan montrent que la Birmanie ne partage pas la vision française de la laïcité. Si le droit birman assure la liberté de culte pour l’ensemble des religions, tolérance qui s’étend à des groupes certes minoritaires mais qualifiés de sectaires dans plusieurs pays occidentaux, comme les témoins de Jéhovah par exemple, il n’en reste pas moins que la religion d’Etat demeure le Bouddhisme Theravada birman. Avec les croyances ésotériques qu’il a intégrées (culte des Nats, alchimie, cosmologie hindouiste, etc.), il imprègne la vie quotidienne de la société birmane et, par dérivation, sa vie politique.

Ainsi, le plus bel exemple de cette influence mystique sur la politique birmane reste la politique de dépréciation du Kyat (monnaie locale) ordonnée par Ne Win, dictateur socialiste qui dirigea le pays d’une main de fer de 1962 à 1988. Adepte de numérologie, Ne Win était persuadé que « 9 » était son chiffre porte-bonheur. Il fit ainsi remplacer tous les billets en circulation par d’autres dont la valeur était un multiple de 9 (45 Kyats, 90 Kyats, etc.). Cette décision arbitraire fit perdre une bonne partie de leurs économies aux Birmans, dès lors qu’en l’absence de système bancaire privé tous gardaient leur épargne en liquide « sous le matelas ». Le mécontentement fut tel que la simple arrestation d’étudiants suite à une rixe de bar, suffit à lancer en 1988 une révolte qui se propagea dans tout le pays et qui conduisit à la démission de Ne Win.

A ce titre, ce n’est pas non plus un hasard si l’opposition, en première ligne de laquelle apparut Aung San Suu Kyi en 1988, choisit le 8 août 1988 (8.8.88) pour lancer les manifestations appelant à l’instauration de la démocratie dans la dictature socialiste. Ce chiffre « 8 » devait placer le mouvement sous de bons auspices. Il faut rappeler notamment qu’en Chine le chiffre « 8 » est considéré comme étant de bon augure, une sorte de porte-bonheur, notamment parce que sa prononciation « ba » est proche de « fa » (prospérité). A ce propos, je rappelle d’ailleurs dans mon livre les rapprochements que l’on peut faire entre les numérologies chinoises et birmanes, de même que la popularité du Yi Ching parmi les techniques de prédictions utilisées au Myanmar.

Quoiqu’il en soit, et pour clore cette partie consacrée à la révolution de 1988, le résultat n’a pas été à la hauteur des attentes de l’opposition : les manifestations du 8.8.88 furent réprimées dans le sang et la démission de Ne Win a été immédiatement suivie de la prise du pouvoir par la junte militaire du SLORC (State Law and Order Restoration Council).

Cet épisode violent de l’histoire birmane n’est pas sans rappeler les révoltes paysannes anticoloniales menées par Saya San dans les années 1930, un moine bouddhiste défroqué, adepte d’ésotérisme, d’alchimie et de yadaya (occultisme). Il avait notamment assuré à ses partisans que la rune qu’il leur avait fait tatouer sur le corps les protègerait des balles, avant de les envoyer charger l’armée britannique avec des armes de fortunes. Là encore ce fut un massacre. Cet exemple est loin d’être un cas isolé. On l’oublie souvent mais, ainsi que je l’ai rappelé dans mon article traitant du mythe du Minlaung, Aung San lui-même s’adonnait à des pratiques ésotériques dans le but de faire converger des forces capables de le faire réussir dans ses entreprises politiques. Il inscrivit notamment son combat dans la lignée des traditions royales de Birmanie. Le groupe des Trente Camarades était l’équivalent des yeyiphe (Compagnies de Braves), les hommes de confiance dont s’entourèrent les rois birmans pour établir leur pouvoir et leurs nouvelles dynasties.

Le roi Tabinshwehti empêcha la désintégration du royaume grâce à l’aide de 28 soldats dévoués qui lui permirent d’accéder sur le trône. De même Alaungpaya s’appuya-t-il sur sa Compagnie D’or de 68 braves. Ainsi, en plus des habituels tatouages ou lehpwe (amulettes gravées de formules magiques ou de versets des Suttas) insérés sous la peau, Aung San et ses Trente Camarades pratiquèrent le thwe-thauk, rituel d’échange de sang typique de certaines sociétés secrètes ou ésotériques, symbolisant la création d’un lien indéfectible entre ceux qui le pratiquent. Une sorte de mandala, de cercle protecteur, scellant la création d’une communauté sacrée en quelque sorte. Ainsi, quand les Trente Camarades, le cœur de son armée, arrivèrent en Birmanie, ils avaient la réputation d’être invincibles et de porter des tatouages, des runes et des amulettes implantés dans leurs corps qui leur conféraient des pouvoirs surnaturels.

En plus d’être le fondateur de l’armée birmane, la Tatmadaw, Aung San créa aussi l’un des partis d’opposition au colonialisme. En octobre 1939 il unit son parti nationaliste, Dobama Asiayon (Nous les Birmans), à celui de Sinyatha Wunthanu. Cette nouvelle alliance fut appelée en anglais le « Freedom Block » (Le bloc pour la liberté). Pourtant, en Birman, le nom de Htwet Yat Gaing avait une tout autre signification : « Société du Chemin vers la Sortie ». Il s’agissait évidemment d’une référence au surnom des alchimistes ayant atteint l’illumination et l’immortalité, et qui ont donc trouvé un moyen de sortir du cycle des réincarnations. De plus, le terme gaing doit plutôt être traduit par « secte religieuse ésotérique » que par celui « de société ». Ce nom a été choisi en référence à la prédiction voulant qu’un weizza (alchimiste), Bo Bo Aung en l’occurrence (voir mon article), viendrait chasser les Anglais du pays pour permettre l’avènement du Minlaung, (roi messianique) qui rétablirait un royaume Bouddhiste unifié.

Aung San voulut ainsi encourager la croyance populaire qui voyait en lui le Minlaung. Cela est particulièrement visible dans la chanson glorifiant les Trente Camarades écrite en 1943 par Mya Daung Nyo. La même année, dans sa biographie, Aung San faisait remonter son ascendance à l’âge d’or du Royaume de Bagan, expliquant que sa famille était restée proche dynasties royales au long des siècles. Ses discours comportent également de nombreuses références au loka nibban, sorte de Nirvana terrestre que ses partisans et lui entendaient mettre en place en Birmanie après la libération.

Ainsi, des rumeurs sur l’apparition de Bo Bo Aung se propagèrent après le rassemblement du nouveau parti à la pagode Mahamuni de Mandalay. Cette rumeur signifiait que le weizza avait oint le héros national. Certains voyaient même en lui l’incarnation du prince Setkyamin, sauvé par Bo Bo Aung. Il ne fit jamais rien pour y mettre un terme, jouant sur le registre de l’ésotérisme et des croyances millénaristes pour asseoir sa popularité et accroître le nombre de ses partisans. Il est difficile de savoir s’il y croyait lui-même ou s’il s’agissait seulement d’un calcul politique. Enfin, les références au minlaung étaient présentes dans tous ses discours, notamment celui d’août 1945 dans lequel il compare son combat pour l’indépendance aux conquêtes passées, quand les grands rois Birmans avaient réunifié le royaume après des périodes de crise.

Son combat était bien plus qu’une simple résistance politique ou même militaire contre un envahisseur. Pour lui et pour la population birmane, il s’agissait d’une guerre sainte, sacrée, visant à rétablir la foi bouddhiste au sein d’un royaume uni et indépendant.

Ainsi, Aung San comme Ne Win liait la politique à des pratiques occultes. Et il ne s’agit pas là de cas à part. L’exemple le plus récent de cette relation entre politique et ésotérisme est celui du Général Than Shwe, qui dirigea le pays jusqu’en 2011 et qui était connu pour être amateur de yadaya (cabale), comme son prédécesseur Ne Win. Si ce dernier avait porté son dévolu sur le chiffre 9, Than Shwe lui préféra le nombre 11 pour imprimer sa marque sur le pays. Ainsi, ce n’est pas par hasard si 9002 (9+2 = 11) prisonniers furent libérés en septembre 2008 pour apaiser les pressions internationales. De même, les peines de prison de 65 ans (6+5 = 11) à l’encontre des prisonniers politiques furent courantes sous son joug. Ce choix du nombre 11 serait une référence aux « 11 feux » de la tradition bouddhiste : avarice, haine, illusion, naissance, vieillesse, mort, deuil, pleurs, souffrance, tristesse et désespoir. Ces 11 feux, dans un sens spirituel, sont alimentés par l’attachement terrestre.

Le Général voulait ainsi lutter contre le feu par le feu, en infligeant à ses ennemis les souffrances dont il voulait lui-même se protéger. Une autre de ses lubies l’a conduit à exiger des paysans de Pyay de ne cultiver que des tournesols, dont le nom birman, nay kyar, signifie « long séjour », en l’occurrence le sien au pouvoir. De même, l’ordre fut un jour donné de planter des Jatropha Curcas (Noix de Barbade) dans tout le pays, officiellement pour produire du biodiésel. En réalité, le nom birman de cette noix est kyet suu, une combinaison correspondant à Lundi-Mardi en astrologie birmane. Or, le nom de Suu Kyi (comme est parfois appelée Aung San Suu Kyi), signifie Mardi-Lundi. Le Général Than Shwe pensait ainsi annihiler les pouvoirs de l’opposante, par la simple juxtaposition des jours Lundi et Mardi en sens inverse.

De plus, en 2005, Than Shwe ordonna brusquement le déplacement du gouvernement et de l’administration vers Nay Pyi Daw, la nouvelle capitale qu’il avait faite construire secrètement dans la jungle. Signifiant « le siège du roi », Than Shwe entendait reproduire par-là la tradition des anciens rois qui créaient leur capitale à chaque changement de dynastie. Je rappelle, à ce titre, dans mon roman l’exemple de la cité de Mandalay, construite de toute pièce sur ordre du Roi Mindon, et protégée par les âmes des 50 personnes sacrifiées en étant enterrées vives sous les murailles du palais.

Than Shwe avait apparemment lui-aussi laissé les astres décider de la date du déménagement : le 6 novembre 2005 (11.6.5 = 11 / 6+5 = 11 / 11), à 6h36 du matin très précisément, tous les convois disséminés dans Yangon s’étaient mis en marche vers Nay Pyi Daw. Les fonctionnaires qu’ils emmenaient vers leur nouvelle affectation avaient reçu la veille, sans préavis, leurs ordres de mutation. Refus et démissions avaient été interdis. Tous eurent l’obligation d’aller s’installer dans la nouvelle cité royale inachevée, se trouvant sur l’ancien site du village de Kyeitpye, « le poulet qui s’enfuit » en birman, à proximité de la ville Pyinmana, dont le nom signifiait : « ne reste pas là même si tu es fainéant ! ». Nul doute qu’eux aussi auraient préféré prendre leurs jambes à leur cou.

Enfin, comme Ne Win l’avait fait avant lui à Yangon, Than Shwe tenta de « laver » son karma en ordonnant la construction d’une pagode à Nay Pyi Daw cette fois, censée lui apporter suffisamment de mérites pour faire table rase de son passé de dictateur. Cette réplique de la Shwedagon à un mètre près, fut baptisée Uppatasanti, ce qui signifie « Protection contre les malheurs », du nom d’un Sutta écrit  par un moine au 16ème siècle. Cette prière est récitée lors des crises, notamment des invasions extérieures. Elle a été achevée en 2009 et officiellement inaugurée en mars 2009, par le Président Than Shwe et sa famille qui ont conduit la cérémonie d’élévation du htidaw, l’ombrelle placée au sommet du stupa.

Il ne s’agit-là, bien entendu, que de quelques exemples connus et représentatifs de l’influence de l’ésotérisme et de l’occulte sur la vie politique birmane. Tout surprenant que celui puisse paraître à des Occidentaux, il faut savoir que ces croyances n’imprègnent pas seulement la politique, mais aussi l’ensemble de la vie quotidienne et sociale de la population birmane, conduisant à des comportements que l’on pourrait parfois qualifier d’extrêmes. Dans les années 1960 notamment, une clochette se décrocha du hti (ombrelle) de la pagode Shwedagon. Sur l’objet, on découvrit le mot Aung. Tout le monde pensa qu’il s’agissait du « fer tué » (transformé alchimiquement) de Bo Bo Aung. On plongea la clochette dans un grand bassin d’eau pour transmettre ses vertus magiques au liquide et des milliers de personnes firent la queue pour avoir la chance d’en boire une gorgée, soi-disant capable de prolonger leurs existences.

Par ailleurs, à un moindre niveau, il faut savoir que le signe astrologique (mahabote) d’un Birman (dépendant de son jour de naissance dans la semaine) détermine une bonne partie de son existence, notamment les jours qui lui seront fastes et ceux qui lui seront néfastes. Il est ainsi frappant de voir que certains Birmans préféreront ne pas aller travailler et rester chez eux lorsqu’ils pensent qu’une date leur sera néfaste, ou à l’inverse être capables de jouer toutes leurs économies lorsqu’un jour est censé leur être faste. Les offrandes aux nats, les amulettes (lehpwe), les mantras ou encore les exorcismes, sont autant d’exemples de pratiques ésotériques par lesquelles la population espère pouvoir maîtriser les forces occultes qui guident d’après eux leur vie quotidienne.

L’histoire d’U Laba, à laquelle je fais référence dans mon roman, illustre encore à un autre niveau, les comportements extrêmes auxquelles peuvent conduire ces croyances. Ainsi, d'après les rumeurs, un moine se mit à pratiquer la "magie noire" pour atteindre la vie éternelle dans les années 1960. Il s'agissait d'U Laba de Yangon. Dans sa folie ésotérique, il était persuadé qu'il lui fallait consommer de la chair humaine pour atteindre son but. Il assassina plusieurs personnes dans sa quête d'immortalité. Il finit par être arrêté et il mourut en prison avant que sa condamnation à mort ne soit mise à exécution. L’exemple du moine escroc que je cite dans mon roman – celui qui s’enduit d’une solution phosphorescente – est lui aussi véridique et illustre bien l’importance de ces systèmes de pensée hermétiques, ésotériques, magiques, occultes sur le fonctionnement de la société birmane.

En conclusion, ces illustrations permettent d’expliquer la course à corps perdu dans laquelle se lancent le Général Soe Ye Myint et le Colonel Khin Zaw Htut dans mon roman, pour obtenir la Pierre Philosophale, ainsi que la violence et la détermination dont ils font preuve dans leur quête de cet artéfact, grâce auquel ils comptent prendre le pouvoir. A ceux qui voudraient en savoir plus, je ne peux que conseiller de lire mon livre. Bonne lecture.

lundi 22 octobre 2012

LE SYMBOLISME - SUITE


Suite à plusieurs demandes, je reviens sur la dimension symbolique de mon roman, deuxième niveau de lecture qui permet la transmission d’information, de clins d’œil aux initiés, et une appropriation de l’histoire de manière plus immédiate. D'où le travail de Carl Gustav Jung sur les symboles dans sa recherche des archétypes en psychanalyse, rejoignant celui de Bettelheim sur les contes. Objets d’études pour la raison, ils sont aussi vecteurs de sens pour l’inconscient. D’où leur force et leur portée.
Voici donc quelques clés pour mieux appréhender mon livre. Je ne reviendrai pas sur l’explication des symboles alchimiques, bouddhistes, tantristes, que j’ai déjà développée dans mon ouvrage et qui, du fait qu’elle était explicite, a sauté aux yeux de tous les lecteurs. Je souhaite plutôt faire la lumière sur ce qui était caché dans la trame de mon ouvrage et qui a pu éluder votre sagacité.

Tout d’abord, il n’aura échappé à personne que mon roman comporte 33 chapitres et que c’est au cours de ce dernier que se déroule l’initiation au secret de la Pierre Philosophale. Ce n’est évidemment pas un hasard et je ne reviendrai pas sur les différents sens du chiffre 33 (vertèbres, devas au royaume de Tatgyamin, 33e degré maçonnique, mort de Jésus à 33 ans après avoir accompli 33 miracles, 33 ans de règne de David, ...), sur lesquels je me suis déjà étendu, mais qui renvoient tous au plus haut degré de connaissance et d’initiation, bref à l’Illumination.

Certains auront sans doute aussi remarqué que plusieurs de mes personnages portent des noms empruntés à Mozart et à son opéra maçonnique, « La flûte enchantée ». Dans cette œuvre musicale, le Prince Tamino (Eric), qui voyage en terre inconnue, est attaqué par un serpent (ouroboros) et s’évanouit. Revenant à lui, il se réveille et trouve le corps inanimé de l’animal. Arrive Papageno (Frank) qui se vante d’avoir tué le monstre. Papageno est un personnage pantagruélique, haut en couleur (son costume est celui d’un perroquet), bavard insatiable, aimant boire et manger, comme le Frank de mon roman. Je l’ai d’ailleurs associé au bœuf, avatar de Dyonisos (rôti de bœuf à l’ambassade, buffles dans les rizières au combat de boxe…). Trois dames (Aldo, Consule, Ambassadeur), les messagères de la Reine de la Nuit (Chopin), font taire Papageno : ce sont elles qui sont venues au secours du jeune prince. Elles remettent à ce dernier un portrait de Pamina (Sabai Pyu), fille de la nuit, comme l’indique les pierres de Lune que Sabai Pyu porte comme bijoux lors de sa première apparition. Pamina a été enlevée Sarastro (le Zawgyi), maître du royaume adverse, le royaume solaire de la sagesse des hommes.

Tamino tombe immédiatement amoureux et décide de délivrer Pamina car la Reine de la Nuit lui a promis que s’il la libérait il pourrait l’épouser. Dans sa quête, il est aidé par Papageno (Frank) et trois jeunes garçons (Ange Agostini, Mahtu Naw et Will Schlosser) qui les conduisent au palais de Sarastro (Zawgyi), où Pamina est tourmentée par un serviteur maure (Khin Zaw Htut) pour qu’elle l’épouse. J’ai aussi donné le nom de ce serviteur traitre à Paul Monostatos, dès lors qu’il sert Chopin, la Reine de la Nuit. Finalement, Tamino découvre en fait que Sarastro (le Zawgyi) n’est pas l’être maléfique dépeint par la Reine de la Nuit, mais qu’il règne sur le Temple de la Vérité. Il s’agit évidemment d’un résumé très grossier, qui passe notamment sur les épreuves sur lesquelles je reviendrai plus bas, mais qui montre le parallélisme que j’ai essayé de faire entre la trame de l’opéra et celle de mon roman.

« La flûte enchantée » n’est pas le seul renvoi à l’univers maçonnique. En effet, Naw Seng, le Kachin qui se fait assassiner, est aussi le parjure, le faux Frère qui rompt son serment. Il cherche la Pierre pour son profit personnel et en subit les conséquences. Il reproduit, avec Khin Zaw Htut, lui aussi alchimiste, et avec le moine-exorciste, le meurtre d’Hiram par trois compagnons, désireux de lui voler son secret. Tous les trois sont initiés et ont violé le secret à leur manière, tous les trois cherchent la Pierre pour eux-mêmes, et tous les trois finiront punis pour leur cupidité et leur trahison.

Par ailleurs, la description faite des temples des Aris s’inspire de la Loge maçonnique et de ses symboles. Sabai Pyu « retire le voile » des yeux d’Eric, lorsqu’elle allume sa lampe dans le temple de Bagan après qu’il soit entré par la petite porte (boyau), à laquelle il a frappé irrégulièrement… à coup de pierres polies maladroitement. Aurait-il eu un tablier qu’il se serait moins sali. Et ne bénéficiant pas du soutien d’un Frère pour guider ses pas, il trébuche constamment. De plus, ces temples souterrains rappellent le cabinet de réflexion dans lequel le futur Apprenti rédige son testament philosophique ; testament qui préfigure la mort symbolique du profane, sort qu’Eric a failli connaître au sens propre du terme. De même, la sortie se fait par une salle « humide », dans laquelle tous deux ont bu la tasse. Enfin, comme l’Apprenti au moment de son initiation, Sabai Pyu effectue à travers ses aventures trois voyages initiatiques (Bagan, Po Win Taung, Mont Bonkwan), la faisant passer par les quatre éléments alchimiques : la terre (Kyauk Gu Umin), l’eau (Irrawaddy), le feu (torture) et l’air (ascension du Mont Bonkwan). Initiation qui avait pris trois ans au moine Ari Mahtu Naw et qui ne prend que trois jours symboliques à Sabai Pyu.

A ce titre, le chiffre 3 n’occupe pas une telle importance dans mon roman par hasard. En plus de ces 3 voyages initiatiques, je parle de 3 montagnes dans mon livre. Les montagnes revêtent une signification sacrée dans toutes les cultures. Colonnes entre le Ciel et la Terre, entre les hommes et les dieux (Sinaï, Olympe, Meru, Fuji, etc.), elles sont l’axis mundi, le centre du monde. Il n’est donc pas surprenant que l’intrigue de mon livre tourne autour de 3 montagnes mythiques qui abritent en leur sommet le symbole de l’Illumination : Maung Aung sauve la Pierre en se réfugiant dans un monastère bouddhiste en haut de Mandalay Hill ; le Mont Meru abrite le royaume de Thagyamin, le saint patron des alchimistes ; et le Mont Bonkwan, associé à Tusita (Shangri La), est là où se trouve le Zawgyi. C’est aussi, en haut de cette montagne qu’Eric trouve ce qu’il était venu chercher au début de son aventure, ce que le temple de Delphes affichait sur son fronton : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les dieux ». 3 montagnes, 3 symboles, pour 1 Illumination.

De même, Sabai Pyu expérimente trois relations sexuelles au cours du récit : avec Eric (le cœur), avec Khin Zaw Htut (le corps) et enfin avec le Zawgyi (l’esprit). Et seule la dernière lui procure la paix, lorsque les deux premières lui apportent de la souffrance. Il s’agit ici du symbole de l’Illumination, de la paix intérieure, qui ne peut être atteinte que lorsque l’on sublime ses instincts, lorsque l’on se détache de son corps et de ses désirs. Ces trois relations sont aussi à chaque fois une union des opposées, comme le veut la tradition alchimique : femme et homme bien entendu, mais aussi tour à tour savoir et ignorance (avec Eric), bonté et cruauté (avec Khin Zaw Htut), vieillesse et jeunesse (avec le Zawgyi). Cette opposition de deux principes contraires, de l’ombre et de la lumière, se retrouve également dans le duo Sabai Pyu / Khin Zaw Htut, « pyu » signifiant « blanc » en birman quand Khin Zaw Htut se trouve complexé à cause de la couleur sombre de sa peau.

Ainsi, Sabai Pyu est celle par qui vient la Lumière. Elle est Hermès Trismégiste, le fondateur mythique de l’alchimie et auteur de la fameuse Table d’Emeraude. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’elle apparaît pour la première fois, Sabai Pyu est habillé d’une soie verte renvoyant des reflets à la manière de l’émeraude, pierre associée à Hermès. Elle porte également un pendentif en pierre de Lune, dès lors qu’Hermès emportait les âmes sur la Lune pour les purifier avant de les conduire aux Champs Elysées. Elle initiera ses compagnons aux secrets de l’alchimie dans une boite de nuit au décor spatial (véridique mais pas anodin), sorte de temple à la voûte étoilée, boite noire contenant tout l’Univers, le Cosmos, en présence des autres Dieux de l’alchimie grecque, en particulier Saturne (Cronos) associé au plomb en alchimie, et Jupiter (Zeus), le roi des Dieux.

D’ailleurs, spécialiste de l’Art Royal (alchimie), Sabai Pyu n’est pas la descendante du roi Mindon pour rien. Incarnation d’Hermès TRIsmégiste, divinité à laquelle était associé le sens de la voix chez les Grecs, elle est aussi TRIlingue. De même, Hermès est le voyageur aux pieds ailés, le messager des Dieux. Sabai Pyu, elle, possède une agence de voyages, elle pédale vite, elle tourbillonne dans l’Irrawaddy, elle court à Pakokku, elle voyage par le rêve ou effectue les trois voyages de l’initiation. Enfin, Hermès est celui qui tient en main un caducée (sceptre avec deux ailes et des serpents entrelacés), qui guérit des morsures de serpent. Sabai Pyu, elle, ne craint pas le Naga, dont elle caresse le front.

Continuons sur la voie chymique si vous le voulez bien. Ce n’est pas non plus par hasard que la Pierre Philosophale se trouve dans un temple souterrain, référence au fameux V.I.T.R.I.O.L des alchimistes : « Visita interiorem terrae rectificando invenies operae lapidem » qui peut se traduire par « Visite (cherche) l'Interieur de la Terre (la matière première dont nous sommes faits) et, en te Rectifiant (en effectuant un travail sur soi-même) tu Inventeras (tu trouveras) l'Occulte Pierre (la Pierre Philosophale). » Ce crédo alchimique constitue la morale de mon livre. Enfin, les rêves dont d'autres passages forts en symboles de mon roman. S’y retrouvent le conflit entre l’ombre et la lumière, le travail au noir et au blanc, le miroir et le labyrinthe, omniprésents dans les initiations, les animaux totems, etc. Ils rappellent les d’initiations shamaniques et les voyages des corps astraux, etc.

Voilà, j’espère que ces quelques explications vous permettront d’apprécier encore davantage mon ouvrage et vous donneront envie de le relire à l’aune de ces explications.





jeudi 13 septembre 2012

LES SYMBOLES : UNE PORTE OUVERTE SUR LA CULTURE BIRMANE

Dans mon roman, je reprends de nombreux symboles issus de l’Hindouisme, du Bouddhisme et de l’alchimie, qui sont autant d’indices semés tout au long du parcours initiatique que suivent Eric et Sabai Pyu pour trouver la Pierre Philosophale. Or, aussi évident que peut sembler le déchiffrage de certains d’entre eux, je montre qu’un symbole peut revêtir plusieurs sens possibles selon le contexte, ou encore le point de vue que l’on adopte pour l’étudier. Finalement, cela nous amène à nous poser la question de ce qu’est réellement un symbole.

Je ne vais pas reprendre les définitions de base, l’étymologie grecque, bref tout ce que vous pourrez facilement retrouver sur Wikipedia. Car, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les dictionnaires des symboles, la réponse est loin d’être évidente, et les chercheurs qui passent leur vie à les étudier ou à travailler avec ces outils, vous diront qu’il s’agit d’une quête sans fin ; un peu comme si vouloir saisir leur sens équivalait à saisir du sable : il semble toujours vous échapper.

Sans doute parce qu’un symbole ne fait pas sens, mais est avant tout un vecteur de sens. Il est un langage. On pourrait reprendre ici les travaux de Saussure sur les rapports entre le « signifiant » et le « signifié » ou encore ceux de Wittgenstein sur « les jeux de langage ». En effet, comme dans tout langage, le sens que revêt un symbole est arbitraire. Si la relation entre celui-ci et ce à quoi il se rapporte était directe, il deviendrait alors un index ou une icône, tels que les définit Peirce. Le dessin d’un chien n’est pas un symbole dès lors que l’on ne cherche qu’à représenter un chien. Et il est compréhensible par quiconque ayant déjà vu un chien. En revanche, il devient symbole si l’on utilise cette image pour représenter la fidélité, par exemple.

Or c’est là tout le problème : pour que l’émetteur et le récepteur se comprennent et que la communication s’établisse, il faut que le sens donné au symbole soit le même au départ qu’à l’arrivée. La meilleure image de l’incompréhension à laquelle peut mener le discours symbolique est sans doute la scène du lâcher de colombe dans le film « Mars attacks ». Pour reprendre mon exemple du chien, la personne ayant dessinée l’animal pourra vouloir représenter la fidélité. Il n’en deviendra cependant le symbole qu’à partir du moment où l’observateur associera l’idée de fidélité à celle de chien. Une personne d’une culture différente ou victime d’une attaque de chien pourra très bien y associer l’agressivité par exemple. A l’inverse, le récepteur pourrait voir un dessin de chien et y associer instantanément la vertu de la fidélité, alors que l’artiste voulait seulement montrer un chien. Dans ces deux cas, la communication symbolique ne s’effectue pas.

Ainsi, aucun symbole n’a de valeur ou de sens objectif : ils diffèrent d’une culture à l’autre, d’une personne à l’autre, d’une époque à l’autre. Il n’existe aucun symbole universel. Dans mon roman, je montre que les symboles laissés par les Aris ne sont compréhensibles que si l’on se place du point de vue d’un Ari du 11ème siècle. Une Bouddhiste Theravada du 21ème siècle, comme je l’explique, déchiffrerait ces indices d’une manière complètement différente. Je parle ici des fameuses « règles du jeu » que Wittgenstein décrit dans ses Investigations philososphiques, et qui ne rendent la communication par le langage possible que dès lors qu’elles sont partagées par les interlocuteurs.

Derrière le symbole se cache donc une volonté : celle de l’émetteur bien entendu, qui utilise cet outil pour transmettre un message, mais aussi celle de tous ceux qui partagent le sens, la valeur qu’il véhicule, et qui reçoivent et comprennent ce message. C’est en partie la raison pour laquelle l’homme communique par symboles. Parce qu’il s’agit d’un métalangage capable non seulement de transmettre de l’information et un sens de manière intuitive ("une image vaut mieux que mille mots"), mais aussi parce qu’il est porteur d’une volonté qui incite à l’action. Il suffit de voir l’impact de la croix gammée sur les foules allemandes ou celui d’un cercle vide sur les adeptes du Bouddhisme zen.

Tout cela est possible parce que, dépassant le seul rapport entre "signifiant" et "signifié" établi par le langage et décrit par Wittgenstein dans son Tractatus, le symbolisme ne s’adresse pas qu’à la raison, mais aussi, et peut-être surtout, au cœur du récepteur. Il permet tout d’abord d’intérioriser de manière efficace des informations, des valeurs, des significations, qui nécessiteraient autrement de long discours. Il suffit de voir les frissons que procure un simple buste de Marianne, qui ne sont pas seulement dus à ses formes féminines, et qui renvoient inconsciemment au triptyque républicain, aux Lumières, aux Trois Glorieuses, etc. C’est cette relation à l’inconscient qui a notamment poussé Jung à travailler sur les symboles et l’alchimie dans sa recherche des archétypes.

Enfin, en sens inverse, le symbole permet d’émettre ce qu’il y a de plus profond en nous et ce que nous aurions du mal à transmettre par des mots. Une baiser n’est-il pas le symbole de l’amour, sentiment que même les oeuvres de Stendhal, Ronsard, Bernardin de Saint-Pierre et bien d’autres encore ne suffiraient à décrire entièrement. Il en va de même de la foi et de Dieu pour les croyants, dont le langage courant ne saurait parler selon Wittgenstein (le fameux « ce dont on ne peut parler il faut le taire »), et qui s’exprime en revanche parfaitement à travers les symboles.

Ainsi, en plus de posséder une dimension horizontale (la communication entre les hommes), le symbolisme met en place une relation verticale, transcendantale, en ce qu’il est certainement le seul langage à pouvoir exprimer et à faire partager pleinement la spiritualité, qu’elle soit religieuse ou non. C’est d’ailleurs pour cela que l’alchimie, dans sa recherche de l’Illumination, s’est très vite détachée de ses pratiques opératives pour prendre une dimension spéculative à travers l’utilisation de symboles. Car si le langage courant et l’opératif permettent une action sur le monde, le symbole, lui, permet mieux que n’importe quel autre outil un travail sur soi.

Un symbole est finalement un peu comme une pyramide à plusieurs étages. La base représente le sens commun, le plus usité, souvent compréhensible de manière rationnelle par le plus grand nombre, même par des personnes de cultures différentes. Il s’agit en fait de la définition de base donnée par un dictionnaire : la croix gammée est le symbole des nazis, la croix celui des chrétiens, etc. Cela constitue un premier niveau de langage, presque iconique, qui se limite souvent à un simple échange d'informations. L'étage suivant constitue, de manière plus précise, la signification et la valeur culturelles du symbole, partagées par une communauté de personnes qui vont pouvoir communiquer du sens parce qu'ils utilisent les mêmes "jeux de langages".  Le compas et l'équerre "parlent" ainsi aux Francs-Maçons. Ils restent de simples outils pour le plus grand nombre. Il peut y avoir plusieurs étages intermédiaires, selon le degré de complexité du sens accolé à un symbole, compris par un nombre toujours restreint "d'initiés". Enfin, les derniers étages correspondent aux sens intimes donnés au symbole une fois qu’il a été intériorisé par l’individu, jusqu’à sa valeur inconsciente dont il n’a pas toujours connaissance lui-même et qui font du symbole un moteur de l’action.

Cette progression dans la compréhension des différentes dimensions du symbole jusqu’à l’intériorisation est essentielle, car elle permet d’expliquer le processus de création et d’appropriation, ainsi que les sauts de valeurs ou de sens qui peuvent s’opérer. C’est ce qui permet, entre autres, d’expliquer le passage du swastika hindou à la croix gammée nazie. C’est ce qui explique également les divergences existantes dans mon roman, entre le sens que les Aris, les Bouddhistes Theravada et les Hindouistes donnent à un même symbole. C’est aussi pour toutes ces raisons que j’ai choisi de parler abondamment du symbolisme dans mon ouvrage, car il me semble être l’outil indispensable permettant d’appréhender au mieux une culture ; en l'occurence la culture birmane.

En effet, sans une connaissance intime des symboles, la Birmanie reste incompréhensible et voilée au voyageur de passage. Comment comprendre l’aura d’Aung San et d’Aung San Suu Kyi, ou encore la révolte de Saya San, en dehors de leurs actions et de leurs combats, sans parler du Minlaung (voir un de mes articles précédents) et du Metteya ? Comment comprendre la politique birmane sans comprendre le yadaya, l’ésotérisme birman ? Comment évaluer l’impact de la construction du barrage de Myitsone si l’on ne connaît par les mythes Kachin ? Comment, finalement, apprécier la visite de la Shwedagon, de Bagan ou de n'importe quelle pagode sans connaître la cosmogonie bouddhiste ou tous les symboles qui sont représentés ? Ce serait comme se contenter de regarder la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci sans en comprendre les jeux de regards ou de mains. Et ainsi de suite. C’est en tous cas ce que j’ai voulu faire : essayer d’offrir une meilleure connaissance de la Birmanie, à travers son inconscient collectif, ses symboles, son ésotérisme, etc.

Enfin, reste une autre dimension du symbole, celle qui en fait un outil de transmission cryptée d’information entre des personnes initiées. Il s’agit ici aussi bien de transmettre un message que de le cacher. Cette fonction, les alchimistes, notamment, l’ont beaucoup utilisée masquant leurs recherches derrière des symboles hermétiques. Les premiers chrétiens également, lors des persécutions, marquaient l’entrée des églises clandestines d’un poisson, symbole des premiers croyants bien avant la croix. Les artistes, enfin, ont usé des symboles pour échapper à la censure ou pour conférer plusieurs degrés de compréhension à leurs œuvres.

A ce titre, certains auront peut-être remarqué dans mon roman ce qui relève d’un niveau de lecture plus symbolique. Ainsi, les différentes épreuves par lesquelles passent les héros, par exemple, renvoient aux quatre éléments alchimiques de base menant à la réalisation du Grand Œuvre ; réalisation effectuée au 33ème chapitre... De même, les noms des protagonistes dérivent de ceux de plusieurs personnages de La flûte enchantée de Mozart, opéra qui parle lui aussi d’Illumination, de passage de l’ombre à la Lumière. Je ne reviendrai pas non plus sur la description du temple des Aris ou sur leur cérémonie d’initiation, qui doivent rappeler des souvenirs à certains d’entre vous. Si cela vous intéresse, je vous invite à relever les autres trames symboliques qui parcourent mon livre.

Dans tous les cas, j'espère que mon roman vous permettra de découvrir d'autres aspects de la culture birmane et qu'il vous donnera l'envie de visiter ce pays magnifique et pas comme les autres, si ce n'est pas déjà fait. Bonne lecture.

jeudi 2 août 2012

LES PYU ET LE CULTE ARI - ENTRE HISTOIRE ET LEGENDES

Dans mon roman, je présente les Ah Ye Gyi (Aris ou culte Ari) comme une secte religieuse tantrique apparue à l’époque des cités-Etats pyu, avant d’entrer dans la clandestinité lors des persécutions qui ont accompagné l’instauration du Theravada comme religion d’Etat par le roi birman Anawrahta. Il s’agit bien entendu d’une interprétation personnelle des données (encore floues), dont nous disposons sur les Pyu et sur ce passage de relais entre leurs cité-Etats et le royaume birman centralisé de Bagan.

Les Pyu, comme les Birmans, étaient un peuple tibéto-birman venus du Nord en suivant la vallée de l’Irrawaddy. Dans son excellente thèse « The origins of Bagan. The archaeological landscape of Upper Burma to AD 1300 », Bob Hudson, de l’Université de Sydney, explique que les cités-Etats pyu sont sans doute apparues à la suite d’un déplacement de populations depuis la vallée de la Samon pour donner naissance aux cités de Maingmaw, Beikthano, Waddi, Halin et Sriksetra. La civilisation de la vallée de la Samon s’est développée au néolithique grâce à plusieurs facteurs : situation au carrefour d’une route marchande entre l’Inde et la Chine, développement de la riziculture, exploitation de ressources naturelles (sel de Halin, cuivre des collines shan, etc.). Les relations entre les Pyu et l’Inde et la Chine étaient déjà étendues dès l’âge de bronze. Il est probable que les croyances alchimiques se soient développées en même temps que le travail du fer et des premiers alliages, les techniques et les métaux se répandaient chez les Pyu au gré des échanges entre l’Inde et la Chine.

Dans « Forgerons et alchimistes », Mircea Eliade rappelle que les forgerons ont toujours bénéficié d’un statut particulier. Leurs savoir-faire et leurs techniques ont très vite pris un sens symbolique, religieux, les métaux étant déjà associés aux planètes ou encore l’or à l’immortalité dès l’Antiquité en Mésopotamie. De même, la métallurgie revêtait une importance économique et même politique (armes de guerres) dès l’âge du bronze. Tout cela explique pourquoi les forgerons ont dissimulé leur savoir opératif derrière des symboles, jusqu’à donner naissance à une gnose spéculative qui finit par prendre son indépendance vis-à-vis de ses racines : l’alchimie. Aggiya, qui désigne l’alchimie en birman signifie d’ailleurs « travail du feu ».

On est donc en droit de penser que les croyances alchimiques que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la culture birmane, trouvent leurs racines dans cette civilisation pré-pyu de la vallée de la Samon. Tout comme les croyances animistes dans les Nats. A cette époque, la civilisation pyu n’était pas encore fondée sur un modèle indien. Ce n’est qu’avec les migrations de populations du bassin de la Samon vers d’autres vallées que la société pyu va s’organiser sur un modèle centralisé indien.

Les raisons qui expliquent ces déplacements de populations restent encore difficiles à expliquer, dès lors que la pression démographique ne semble pas pouvoir justifier ce phénomène à elle-seule. Toujours est-il que les première cités-Etat pyu fortifiées, organisées autour du culte de leurs fondateurs, apparaissent entre le 2ème et 4ème siècle après J.C. Selon Bob Hudson, il s’agirait d’un mouvement volontaire de quelques individus séduits par la notion indienne de « royauté » et qui se trouvaient bridés ou incapables d’imposer leur leadership dans le modèle rural de la Vallée de la Samon. On ne peut que se remémorer les invasions et explorations vikings, lancées par des cadets ou des chefs de guerre souhaitant eux-aussi créer leurs royaumes et obligés, pour ce faire, de quitter leur Scandinavie trop étroite. L’adoption du modèle indien par la société pyu, plutôt que du modèle chinois lui-aussi connu, serait ainsi un choix volontaire dû à l’attractivité de la culture indienne de l’époque, comme l’indique, par exemple, le nom des cités pyu Beikthano (Vishnu) ou Sri Ksetra.

Ainsi, c’est l’Inde qui va donner son écriture à la langue pyu, son système politique centralisé aux cités-Etats pyu et qui va introduire l’Hindouisme, le Tantrisme, le Bouddhisme Mahayana et aussi le Theravada au sein de cette société. Le calendrier bouddhiste devient ainsi le calendrier officiel. Il est difficile de dire si une forme de Bouddhisme en particulier était prédominante chez les Pyu, d’autant plus que ces religions sont venues se greffer sur leurs croyances animistes traditionnelles toujours en vigueur, ainsi que sur d’autres cultes animistes indiens tels que celui des neuf planètes ou du Naga. Il semble que les influences aient différé d’une cité à l’autre et selon les époques. Ce mélange de croyances aurait toutefois donné naissance au culte Ah Yee Gyi (Ari), dont je parle dans mon roman.

Là encore, il est difficile de faire la part des choses en ce qui concerne les Aris, entre les rumeurs, les récits des « Glass Palace Chronicle » (Hmannan Yazawin) et les découvertes archéologiques. Les « Chroniques du Palais de Verre », commandées par le Roi Bagyidaw en 1829, dépeignent les Ah Ye Gyi comme une secte de moines dépravés, se laissant pousser la barbe et les cheveux, pratiquant l’alchimie et le culte du Naga, et poussant l’hérésie jusqu’à consommer du boeuf et de l’alcool, à se battre, à réciter des mantras pour laver leur kamma et à imposer le jus prima nocte. Finalement, on nous raconte qu’une fois converti au Theravada, le roi Anawrahta (1014-1077), roi de Bagan et fondateur du premier empire de Birmanie, obligea les Aris à se convertir et les incorpora à l’armée, faisant exécuter les récalcitrants. On peut légitimement douter de la véracité de cette description faite presque mille ans après, sur la commande d’un monarque voulant imposer le Theravada comme seule religion légitime et voulant ancrer les origines de sa dynastie dans l’histoire. Les découvertes archéologiques et l’étude des écrits venant d’Inde et de Chine, permettent d’imaginer ce qu’était réellement le Bouddhisme Ari.

Il semblerait que le roi Anawrahta lui-même ait été éduqué dans le Bouddhisme Ari avant sa conversion au Theravada par Shin Arahan, ce qui tendrait à montrer qu’il ne s’agissait pas, à l’évidence, d’une secte marginale. Le mot Ari lui-même, proviendrait d’ailleurs du sanscrit Ariya signifiant « nobles ». Les Aris disposaient a priori de halls d’ordination et monastères, ce qui en faisait un clergé officiel.

Qu’ils aient pu pratiquer l’alchimie, le culte du Naga et les anciennes croyances animistes est tout à fait possible, dès lors que l’on retrouve encore aujourd’hui ces éléments dans le Theravada birman, qui a su intelligemment intégrer les Nats à la cosmologie bouddhiste ; cette même cosmologie qui provient de l’Hindouisme qui a influencé la culture pyu (Sumeru, Thagyamin aka Sakka, Naga, devas, etc.). De même, il n’est pas rare de rencontrer des moines weizza (weikza), plus ou moins ermites, qui disent avoir acquis de grands pouvoirs grâce à leurs expériences alchimiques, qu’elles soient opératives ou spéculatives. Pour plus de détails, je vous renvoie à l’ouvrage de Guillaume Rozenberg, « Renoncement et puissance ». 

Accuser les Ah Ye Gyi de consommer de la viande et de l’alcool, en revanche, semble aussi crédible que d’accuser les Templiers de sodomie et de satanisme. Il s’agit d’une accusation efficace pour taxer un moine bouddhiste d’hérésie, et rien ne prouve qu’ils enfreignaient, en effet, les règles du Bouddha en la matière. Les découvertes archéologiques récentes montrent cependant que dans la société pyu, largement indianisée, les sacrifices animaux et la consommation d’alcool, dans un but rituel, étaient courants ; les fêtes de Nats donnent encore lieu aujourd’hui à des beuveries dignes de Dyonisos. Il n’est pas certain, cependant, que les Aris aient partagé ces pratiques.

En ce qui concerne leur propension à la bagarre, il s’agissait en fait, comme pour les moines de Shaolin, de leur maîtrise d’un art martial non-violent permettant aux moines errants de se défendre sur les routes. Il existe toujours en Birmanie un art de combat, proche de l’Aïkido, que l’on appelle le Pongyi Thaing, « système martial des moines ». Des écrits chinois de la dynastie Tang concourent à cette idée, en décrivant les Pyu comme un peuple pacifique, portant du coton pour ne pas tuer les vers à soie, et auquel la guerre était étrangère ; les cités-Etats réglant leurs différends par des combats entre champions. Même si les fortifications qui entouraient leurs villes laissent penser le contraire, ce témoignage semble renforcer l’idée que les Aris pratiquaient en fait une forme d’art de combat pacifique. Une fois ces arguments démontés, il reste les deux accusations les plus intéressantes, à mon avis, en ce qu’elles renvoient toutes deux au Tantrisme ou Bouddhisme tantrique (Tantrayana ou Vajrayana), à savoir celles concernant les mantras et le jus prima nocte (droit du seigneur).

La question des mantras est sans doute l’un des éléments qui sépare le plus le Tantrisme du Theravada, avec l’utilisation, dans le premier cas, de divinités indiennes comme supports symboliques à la méditation. Pour comprendre ce que sont les mantras, il faut rappeler que le Tantrisme est apparu après le Theravada et le Mahayana. Il stipule que Bouddha aurait divulgué un enseignement secret, destiné à une minorité d’éclairés, qui permettrait d’atteindre plus rapidement le Nibbana, au moyen de pratiques complexes mêlant yoga et récitation de mantras, sortes de formules magiques qui ne fonctionnent que si elles sont correctement prononcées. L’union parfaite du corps et de l’esprit est ainsi censée libérer une énergie capable de provoquer l’Illumination soudaine chez le yogi.

A ce titre, certains rituels poussés du Tantrisme, maintes fois documentés, font appel à des relations sexuelles, afin de canaliser l’énergie libérée lors de l’orgasme. Cela a bien entendu été largement et rapidement détourné en Occident, notamment dans les années 1960 et 1970 par le mouvement hippie, par des personnes ne comprenant pas la dimension symbolique et religieuse de tels rituels. Quoiqu’il en soit, dans le cas où le Bouddhisme Ari incluait de telles pratiques, il est compréhensible qu’elles aient été condamnées par les adeptes du Theravada, fervent partisans du célibat des moines ; célibat qui n’est nullement une obligation dans le Tantrayana et le Mahayana, où il arrive que des Lamas soient mariés et aient des enfants. 

De même, certaines croyances ésotériques liées au Tantrisme, stipulent que les mantras, au-delà de leur fonction d’incantation religieuse, permettent dans certains cas d’acquérir des pouvoirs surnaturels, voire même de « laver » son kamma de ses mauvaises actions. Là-encore, il s’agit de croyances fortement condamnées par le Theravada, même si l’on en trouve encore des formes dérivées dans la Birmanie contemporaine, sous la forme du yadaya, un type de « magie noire », qui permettrait notamment de contrecarrer les effets d’un mauvais karma. Apparemment, c’est la raison pour laquelle le Général Than Shwe aurait commandé la construction d’une réplique de la pagode Shwedagon dans la nouvelle capitale de Nay Pyi Daw, en l’accompagnant de rituels de yadaya.

Quoiqu’il en soit, les mantras, et tout ce qui les accompagnent, notamment le rôle prédominant du gourou, constituent l’un des éléments fondamental du schisme qui sépare le Tantrisme du Theravada, ce dernier ne reconnaissant que les enseignements publics du Bouddha, recueillis dans le Tipitaka, et stipulant qu’il n’existe qu’un seul guide, le Bouddha, et que l’Illumination exige un travail personnel de longue haleine, sur plusieurs vies. Toute croyance affirmant qu’il existe des raccourcis ne peut donc être considérée que comme hérétique. Condamner les Aris en les accusant de réciter des mantras et de pratiquer le yoga était donc une manière de condamner le Tantrisme dans son ensemble et de justifier le fait que le Theravada devienne la seule religion d’état acceptée en Birmanie.

Reste la question du jus prima nocte (droit du seigneur), légende qui a donné lieu à autant de fantasmes en Asie qu’en Occident, où il n’a jamais existé d’ailleurs. Des rumeurs similaires couraient d’ailleurs dans la Chine et la Mongolie du 14ème siècle, accusant les Lamas tibétains de pareils crimes, comme le raconte Thomas David Dubois dans « Religion and the making of modern East Asia ». Plusieurs explications peuvent être proposées, en dehors du fait qu’une fois encore les "Chroniques du Palais de Verre" ont pu simplement lancer des accusations mensongères pour décrédibiliser les Aris.

Il pourrait notamment s’agir tout simplement d’une mauvaise interprétation ou traduction d’une cérémonie pratiquée par les Aris, « l’entrée des fleurs au monastère », qui signifierait en fait que les Aris ordonnaient aussi bien les garçons que les filles au sein de la Sangha, le clergé bouddhiste. C’est du moins ce que tendraient à montrer ce que l’on sait de la condition de la femme chez les Pyu, qui ne réservaient pas l’accès aux études qu’aux hommes. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi, dans mon roman, de faire de Sabai Pyu, une jeune-fille, le Minlaung (monarque messianique - voir mon article à ce sujet) et le futur leader de la secte des Aris, au risque de choquer de nombreux Birmans.

Toutefois, il est également possible qu’il ait existé une forme de rituel qu’accomplissaient les Aris au moment du passage des jeunes-filles à la puberté, comme celui décrit dans l’ouvrage « The legend and cult d’Upagupta » de John S. Strong. Il y retranscrit le témoignage d’un Chinois, Chou Ta-kuan, visitant Angkor en 1297 et assistant à la cérémonie ch’en-t’an. Voici ce qu’il écrit : « Pour cette occasion source de grand mérite, les parents invitaient un moine chez eux, l’escortant en grande pompe depuis son monastère. Des autels décorés étaient montés à l’extérieur de la maison et deux pavillons étaient érigés – l’un pour le moine, l’autre pour la fille. Des sommes importantes étaient dépensées pour le dāna, ainsi que pour l’animation de la fête qui durait toute la nuit avec la famille et les amis. Le son de la musique était assourdissant et quand le moment du rituel arrivait enfin, le moine pénétrait dans les appartements de la jeune-fille. La suite est mieux dite par Chou lui-même : "j’ai entendu dire qu’il la déflore alors avec ses doigts et qu’il trempe sa main dans du vin. Puis, le père, la mère, la famille et les amis se marquent le front avec le vin ; certains disent même qu’ils le boivent. On m’a aussi dit que le moine avait en fait des relations sexuelles avec la fille, mais d’autres affirment que cela est faux. Il est difficile pour un Chinois d’être certain de ce genre de choses. Quoiqu’il en soit, à l’aube, le moine est raccompagné au monastère, avec des palanquins, des parasols et de la musique. ».

Quid des Aris et de la rumeur les concernant ? S’agissait-il simplement de l’ordination de filles ou s’adonnaient-ils à des cérémonies telles que ceux décrites par Chou Ta-kuan ? Ou pratiquaient-ils encore des rituels tantristes impliquant des relations sexuelles ? Il est difficile de faire la part des choses et de savoir exactement ce qui relève de la fiction et de la réalité. Dans mon roman, j’ai pris le parti de faire des Aris une secte bouddhiste tantrique fortement indianisée, choisissant un juste milieu entre la légende qui les entoure et ce que nous en savons. Cela explique notamment mon choix dans mon roman de faire du rituel d’initiation de Sabai Pyu, une cérémonie d’ordination mixant le témoignage de Chou Ta-kuan et des pratiques sexuelles du yoga tantrique.

J’ai également choisi de tracer un lien historique entre les Aris et Izza-Gawna (Eizagona - voir mon article à son sujet) tout d’abord, qui était le premier alchimiste de Birmanie selon les légendes populaires. De même, j’ai fait perdurer le culte Ari au-delà de la conversion du Roi Anawrahta au Theravada. En effet, le premier volume « The Cambridge History of Southeast Asia » stipule que les premières traces du Tantrisme en Birmanie datent du 13ème siècle, soit deux cents ans après Anawrahta, et que le terme Ari, provenant en fait d’ārannaka (sylvestre), ferait référence aux moines ermites méditant dans la forêt. Des inscriptions de cette époque parlent d’ailleurs d’une secte arannavasi, dirigée par un certain Mahakassapa, qui aurait fait de la concurrence à l’école orthodoxe Sinhala du Theravada originaire du Sri-Lanka.

Les inscriptions des temples Nandamanna et Payathonzu à Minnanthu, près de Bagan, qui dépeignent des moines aris consommant du bœuf et de l’alcool datent d’ailleurs du 13ème siècle. C’est la raison pour laquelle, j’ai ensuite poursuivi ce lien historique entre l’époque d’Anawrahta et le 13ème siècle, en faisant tout d’abord du roi Kyansittha un Ari, puis en dispersant les Aris dans la forêt suite à l’invasion de Bagan par les armées de Kubilai Khan en 1287, pour finalement les faire réapparaître en 1885 au moment de la chute de Mandalay. En fait, mon histoire des Aris, une société secrète pratiquant l’alchimie, le Tantrisme, le culte des Nats et du Naga et traversant les siècles de manière cachée et souterraine, symbolise les pratiques et croyances qui ont perduré de manière souterraine au sein de la société birmane, et qui sont encore observables aujourd’hui dans le Theravada birman, en en faisant un système de croyances tout à fait unique.

Pour conclure cet article, je dirais que la légende des Aris et des persécutions qu’ils ont subies suite à la conversion d’Anawrahta offre, une fois de plus, une lecture symbolique de l’histoire. Car, si les Aris étaient un clergé né au temps des cités-Etats pyu, et qu’Anawrahta était un roi birman ayant fondé le premier empire de Bagan, comment expliquer le passage de la civilisation des Pyu à celle des Birmans ? Cette disparition du clergé Ari et le glissement d’une religion dominante à un autre, ne sont-ils pas symboliques de ce passage de relais d’un peuple à un autre ?

La théorie habituelle veut que ce soient les incursions du royaume de Nanzhao (ou Nanchao, actuel Yunnan) qui aient fragilisé les cités-Etats pyu, laissant la possibilité à une autre population, les Birmans, de même origine et venant du Nord, de prendre peu à peu la place laissée par les Pyu. Selon Bob Hudson, les attaques du royaume de Nanzhao ne suffisent pas à expliquer le déclin des cités pyu, puis la disparition de leur culture. En fait, une explication possible serait que ce sont les Birmans eux-mêmes qui auraient effectués ces attaques depuis Nanzhao, à partir du 9ème siècle. Myanmar vient, en effet, de mra (prononcé "mya"), qui veut dire « cheval ». Il est donc probable que les Birmans étaient à l’origine un peuple de cavaliers, comme les Mongols, menant des raids contre les cités pyu, faisant même parfois alliance avec une cité contre une autre.

C’est ce que montre le fait qu’un chef Nanzhao du nom de Ch'uan-feng-yu, portant le titre de «Seigneur des Pyu», se soit vu remettre un Bouddha en or en remerciement de son aide contre une incursion militaire. Bob Hudson montre d’ailleurs comment l’apparition de la cavalerie dans le paysage guerrier pyu, a peu à peu rendu obsolètes les murailles dont s’entouraient leurs cités-Etats.

On peut donc imaginer qu’un chef Birman, ayant installé son clan ou ayant créé sa cité dans la vallée de l’Irrawaddy, ait réussi à s’imposer comme suzerain de cités-Etats pyu, qui se soient progressivement placées sous sa protection, devenant ainsi les vassales d’un royaume dont le centre serait situé à Bagan. Comme l’indique Bob Hudson, il n’y a donc pas eu de « chute » brutale du royaume pyu, dès lors qu’il s’agissait d’un réseau décentralisé de cités autonomes et qu’il n’y avait pas de royaume à faire chuter. Il ajoute que l’introduction du Bouddhisme dans la société pyu a fragilisé le système politique en place, en impliquant de la population dans les rituels religieux, qui étaient jusque-là l’apanage d’une élite, Brahmanes et chefs de la cité, qui dirigeaient selon le modèle des castes indiennes. Le régime pyu, centré autour de la personne du roi, se disloqua peu à peu, ce qui facilita sans doute les incursions extérieures.

Finalement, on peut imaginer qu’en se sédentarisant et en prenant l’aval sur une civilisation avancée, les Birmans ont adopté la culture pyu, comme l’ont fait les Mongols de la dynastie des Yuan en Chine : la culture du riz, la cité entourée de murailles, les stupas, l’écriture, les systèmes d’irrigation, etc. et bien entendu la religion. De leur côté, les Pyu ont eux-aussi progressivement intégré la culture de leurs envahisseurs, au fur et à mesure que les deux peuples se sont mélangés. Les Pyu ont continué d’être mentionnés dans l’Histoire jusqu’au 13ème siècle, ce qui prouve qu’ils n’ont pas disparu d’un coup. La pierre de Myazedi, véritable pierre de Rosette birmane, date de 1113. Elle constitue l’un des meilleurs vestiges de l’écriture pyu, et par la même occasion, la première inscription en Birman. Le fait que ce monument fasse apparaître une face en langue môn laisse probablement penser que c’est ensuite la culture môn qui a influencé la culture birmane, à la suite de la conquête du royaume de Thaton par Anawrahta, laissant peu à peu la culture pyu tomber en désuétude pour finalement disparaître. C’est finalement le modèle de la pagode môn qui sera repris par les Birmans, au même titre que le Theravada finira par s’imposer comme l’unique religion du royaume de Birmanie.

J’espère que cet article aura éclairé un peu plus ceux qui auront lu mon roman, sur ce qu’étaient les Pyu et les Aris (Ah Ye Gyi). Aux autres, je souhaite bonne lecture.